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26 Jun 2025

De l’Exécution au Leadership : Repenser la Place des Acteurs aux Différents Niveaux du Système Éducatif Algérien

English

[This blog post is available in English below, the translation is intended to facilitate communication and cannot be considered an authentic reproduction of the original text.]

Dans cet article, Rosa Mahdjoub appelle à la reconnaissance et à la responsabilisation des acteurs au niveau local, notamment les enseignants dans le fonctionnement du système éducatif en Algérie.

Contexte

Les réformes éducatives actuelles de l’Algérie reconnaissent la place de l’enseignant dans le processus de changement. Mais sa forme est surtout de nature technique, fondée par exemple sur des formations dans le domaine du numérique, de la didactique disciplinaire, … Deux limitations sont identifiées. Une est qu’on vise principalement l’acquisition de compétences techniques nouvelles sans ouvrir vraiment la porte à plus d’autonomie et de leadership aux enseignants. Une autre est que si l’enseignant est le pivot du processus d’apprentissage des élèves, le système éducatif est un corps vivant qui articule ce qui se fait au niveau central (décideur politique), aux niveaux décentralisés (willayas et inspections), de l’établissement (chef d’établissement) et de la classe (enseignant).

Ces dernières années, les pays africains multiplient les efforts pour davantage d’autonomisation des enseignants et de leadership des personnels de l’éducation. Les réflexions convergent vers une refonte des conceptions de l’enseignement et des apprentissages, mais aussi du pilotage du système et de la responsabilité des personnels ; d’agents, ils vont devenir des acteurs, tant du processus que de ses résultats. Il s’agit d’un changement culturel majeur avec une réorganisation structurelle des rôles et des missions à tous les niveaux institutionnels du secteur. L’Algérie, aussi, travaille sur la culture professionnelle de ses agents et leur prise de responsabilité dans leurs domaines de compétences en tant qu’acteurs. Mais cela n’est pas facile.

Un leadership naissant dans un système traditionnel à gestion verticale

Dans cette dynamique, deux types d’objectifs sont à articuler. Le premier concerne les objectifs globaux du système (rétention des élèves à l’école, acquisitions scolaires, comportements sociaux, disparités sociales). Mais en étant tellement généraux, ils paraissent lointains des acteurs et de leurs responsabilités concrètes d’action ; il importe en fait de décliner des objectifs plus spécifiques concrets concernant i) les pratiques pédagogiques essentielles de l’enseignant ou le suivi/l’appui des chefs d’établissements pour ii) la production des objectifs spécifiques de chaque établissement scolaire. Dans ce contexte, les acteurs locaux ont une liberté d’appréciation pour la conduite du projet, mais le point est bien aussi à faire sur les résultats obtenus dans un dispositif externe à l’établissement. Le leadership est assumé par la responsabilisation et la redevabilité des acteurs impliqués, tout en renforçant en continu leurs capacités professionnelles et performances (Leithwood & Jantzi, 2006).

Dans le contexte algérien, cette perspective n’est pas encore là. Les chefs d’établissement sont restreints à des fonctions de gestion administrative locale et routinière, disposant de marges de manœuvre limitées pour conduire et mettre en œuvre un projet pédagogique ou accompagner les enseignants dans un processus de progrès autonome. Le point institutionnel difficile du processus est que si les décisions de politique valent de façon homogène pour le territoire national, la diversité des situations locales est grande.

De façon jointe, si les enseignants sont bien les vecteurs des réformes curriculaires, ils ne sont que très peu associés à la réflexion pour leur préparation. Les textes réglementaires gèrent les relations de travail de manière hiérarchique et les relations sont largement organisées selon une logique descendante (du centre unique vers la multiplicité des établissements scolaires). Circulaires, décrets et notes internes régissant le secteur traitent les enseignants comme les chefs d’établissement et les inspecteurs davantage comme agents d’exécution, que comme acteurs des politiques éducatives (ce qui serait compréhensible), et des modalités pratiques de leur mise en œuvre, ce qui l’est beaucoup moins.

Des indices de changement et des initiatives locales porteuses

Dans la période récente, l’Algérie s’est impliquée davantage dans les initiatives africaines en matière d’éducation. Cela s’est traduit en 2024, par la présence du Président Tebboune au Sommet de Nouakchott sur la transformation de l’éducation en Afrique, réaffirmant l’engagement du pays pour une école plus équitable et inclusive, ainsi que par celle de Monsieur Attaff, Ministre des Affaires Etrangères à Addis-Abeba lors des travaux du Sommet de l’UA sur le thème : « Éduquer une Afrique adaptée au 21ème siècle », assorti d’un engagement des Etats membres pour une transformation systémique de l’éducation.

Ces participations de haut niveau de l’Algérie traduisent sa volonté d’intégrer les tendances internationales en matière de gouvernance éducative. L’idée est que si les ressources et les bonnes politiques éducatives globales sont nécessaires, le résultat obtenu, comme dans les « industries de main d’œuvre » dépend beaucoup de l’activité des hommes et femmes qui font fonctionner le système. Ceci est d’autant plus patent que si les grandes décisions se prennent au niveau central, celles qui comptent vraiment pour les apprentissages sont aux niveaux décentralisés et surtout local (les élèves apprennent dans l’école du quartier ou du village et celui-ci est, sous bien des aspects, très éloigné du centre de la décision). Ces réflexions internationales invitent à repenser les modes de pilotage nationaux pour accorder une place réelle aux acteurs—enseignants, chefs d’établissement, inspecteurs—dans la définition des politiques et la conduite de leur mise en œuvre.

Une approche nouvelle à promouvoir : pourquoi, comment ?

Le système éducatif algérien, comme de la plupart des pays d’Afrique subsaharienne, reste fortement influencé par une tradition de formalisme institutionnel. Celui-ci est caractérisé par i) un grand poids du niveau central et un ciblage premier sur la gestion des moyens, ii) une forte verticalité des relations entre échelons de responsabilité, iii) une tonalité de ces relations dominée par les aspects administratifs, qui iv) s’attache en réalité peu aux pratiques des personnels (enseignants, chefs d’établissements, inspections) dès lors que les référentiels formels sur ce plan ont été produits au niveau central, et v) encore moins aux résultats obtenus puisqu’ils résultent naturellement du dispositif normé qui les a produits.

Même si le trait est un peu forcé, la réalité pratique et la philosophie institutionnelle implicite, sont, de fait, bien là. Les aspects principiels de l’approche « actuelle » sont de nature à rassurer la sphère dirigeante et à générer une certaine cohérence et stabilité d’ensemble. Mais l’expérience suggère que cela est surtout valable « sur le papier » ; l’évaluation à l’épreuve des faits n’est pas très favorable, tant au plan de l’efficacité que de l’équité, de la couverture que des apprentissages (Mahdjoub, 2024). L’approche traditionnelle montre ses limites ; donner peu d’attention au local et considérer les personnels comme des agents, résultent en une faible réactivité aux spécificités locales, une faible appropriation des nouvelles politiques éducatives et une faible énergie des personnels dans la réalisation de leurs tâches.

Une voie prometteuse est de renforcer l’autonomie et le leadership des enseignants, chefs d’établissement et inspection, afin qu’ils libèrent leur imagination, créativité, et énergie pour i) trouver les meilleurs ajustements des dispositions nationales à leur contexte spécifique, ii) travailler ensemble pour des innovations pédagogiques dont iii) les résultats devront être évalués pour devenir aussi les matériaux validés de la dynamique d’amélioration du système. La dimension locale reconnue, associée à l’engagement et l’expertise des acteurs directement impliqués dans la production des services éducatifs est une clé essentielle de la revitalisation des services éducatifs de l’Algérie. Cela supposera, des dispositions institutionnelles appropriées mais aussi des dispositions pratiques telles que la disponibilité des données utiles pour éclairer leurs décisions et construire des dispositifs de pilotage, d’assurance qualité et de développement professionnel. Ceci ne sera pas en plus, mais quelque chose d’intégré, comme une sorte de méta politique éducative, celle qui permet aux autres d’être efficientes, équitables et ajustables à des réalités, variables dans l’espace et le temps.

Conclusion : un tournant à saisir

L’Algérie a devant elle une opportunité pour structurer un dialogue sectoriel sur le rôle des enseignants et des chefs d’établissement pour la réussite du secteur. Non pas parce que l’analyse le suggère ou les dynamiques internationales l’y incitent, mais parce que les blocages actuels, les initiatives locales émergentes, et les attentes des personnels appellent une nouvelle manière de penser responsabilités, compétences et marges d’action de chacun. Ce dialogue ne devrait pas se limiter à une consultation descendante, mais viser à construire une manière nouvelle de construire un système éducatif vivant et fort.

Auteure

Rosa Mahdjoub est cheffe de service « évaluation du rendement du système éducatif » à l’Observatoire National de l’Éducation et de la formation (ONEF, Algérie) et consultante internationale en analyse sectorielle en éducation, affiliée aussi au Laboratoire interuniversitaire des Sciences de l’Éducation et de la Communication (Lisec, Université de Haute-Alsace).

English

From Execution to Leadership: Rethinking the Role of Actors at Different Levels of the Algerian Education System

In this blogpost, Rosa Mahdjoub calls for the recognition and empowerment of teachers in Algeria’s current educational reforms.

Context

Algeria’s current educational reforms recognize the role of teachers in the change process. But their role primarily takes a technical form, based, for example, on training in digital technology, disciplinary didactics, etc. Two limitations have been identified. One is that the main focus is on acquiring new technical skills without truly opening the door to greater autonomy and leadership for teachers. Another is that while teachers are the pivot of student learning, the education system is a living body that articulates what is done at the central level (policymakers), decentralized levels (willayas and inspections), the school (school head), and the classroom (teacher).

In recent years, African countries have stepped up efforts to increase teacher empowerment and leadership among education personnel. Discussions are converging toward a rethinking of teaching and learning concepts, as well as system management and staff accountability; from agents, they will become stakeholders in both the process and its outcomes. This represents a major cultural shift, with a structural reorganization of roles and missions at all institutional levels of the sector. Algeria, too, is working on the professional culture of its staff and their assumption of responsibility in their areas of expertise as stakeholders. But this isn’t easy.

Emerging leadership in a traditional top-down system

In this dynamic, two types of objectives must be articulated. The first concerns the system’s overall objectives (student retention in school, academic achievement, social behaviors, social disparities). However, being so general, they appear distant from the actors and their concrete responsibilities for action; it is, in fact, important to define more specific concrete objectives concerning i) the essential pedagogical practices of teachers or the monitoring/support of school principals for ii) the development of specific objectives for each school. In this context, local actors have discretion over the conduct of the project, but the results achieved in a system external to the school must also be taken into account. Leadership is assumed through the empowerment and accountability of the actors involved, while continuously strengthening their professional capacities and performance (Leithwood & Jantzi, 2006).

In the Algerian context, this prospect is not yet there. School principals are restricted to local and routine administrative management functions, with limited room for maneuver to lead and implement an educational project or support teachers in a process of autonomous progress. The institutional difficulty of the process is that while policy decisions apply uniformly across the national territory, the diversity of local situations is great.

In addition, while teachers are indeed the vectors of curriculum reforms, they are only minimally involved in the reflection on their preparation. Regulatory texts manage working relationships in a hierarchical manner and relationships are largely organized according to a top-down logic (from the single center to the multiplicity of educational establishments). Circulars, decrees and internal notes governing the sector treat teachers, like school heads and inspectors, more as implementing agents than as actors in educational policies (which would be understandable), and in the practical modalities of their implementation, which is much less so.

Signs of change and promising local initiatives

In recent years, Algeria has become increasingly involved in African education initiatives. This was reflected in the presence of President Tebboune at the 2024 Nouakchott Summit on the Transformation of Education in Africa, reaffirming the country’s commitment to a more equitable and inclusive education system. This was also reflected in the presence of Mr. Attaff, Minister of Foreign Affairs, in Addis Ababa during the AU Summit on the theme: “Educating an Africa Fit for the 21st Century,” along with a commitment from member states to a systemic transformation of education.

These high-level participations from Algeria reflect its desire to integrate international trends in educational governance. The idea is that while resources and good overall educational policies are necessary, the results obtained, as in “labor industries,” depend greatly on the activity of the men and women who make the system work. This is all the more evident since, while major decisions are made at the central level, those that really matter for learning are at the decentralized and especially local levels (students learn in the neighborhood or village school, and these are, in many ways, very far from the center of decision-making). These international reflections invite us to rethink national management methods to give a real place to stakeholders—teachers, school principals, inspectors—in defining policies and leading their implementation.

A new approach to promote: why and how?

The Algerian education system, like that of most sub-Saharan African countries, remains heavily influenced by a tradition of institutional formalism. This is characterized by i) a strong central role and a primary focus on resource management; ii) a strong verticality of relationships between levels of responsibility; iii) a tone of these relationships dominated by administrative aspects, which; iv) actually pays little attention to the practices of staff (teachers, school principals, inspectorates) since the formal benchmarks in this area were produced at the central level; and v) even less attention to the results obtained, since they are a natural result of the standardized system that produced them.

Even if the line is a little forced, the practical reality and the implicit institutional philosophy are, in fact, there. The principled aspects of the “current” approach are likely to reassure the management sphere and to generate a certain coherence and overall stability. But experience suggests that this is mainly valid “on paper”; evaluation tested against the facts is not very favorable, both in terms of effectiveness and equity, coverage and learning (Mahdjoub, 2024). The traditional approach shows its limits; paying little attention to the local and considering staff as agents, results in a low responsiveness to local specificities, a low appropriation of new educational policies and a low energy of staff in carrying out their tasks.

A promising path is to strengthen the autonomy and leadership of teachers, heads of establishments and inspection, so that they release their imagination, creativity, and energy to i) find the best adjustments of national provisions to their specific context, ii) work together for pedagogical innovations of which iii) the results must be evaluated to also become the validated materials of the dynamics of improvement of the system.

The recognized local dimension, combined with the commitment and expertise of the actors directly involved in the production of educational services, is an essential key to the revitalization of educational services in Algeria. This will require appropriate institutional arrangements but also practical arrangements such as the availability of useful data to inform their decisions and build systems for management, quality assurance and professional development. This will not be in addition, but something integrated, like a kind of meta educational policy, one that allows others to be efficient, equitable and adjustable to realities, variable in space and time.

Conclusion: A turning point to seize

Algeria has an opportunity before it to structure a sectoral dialogue on the role of teachers and school leaders in the sector’s success. Not because analysis suggests it or international dynamics encourage it, but because current stumbling blocks, emerging local initiatives, and staff expectations call for a new way of thinking about each party’s responsibilities, skills, and scope for action. This dialogue should not be limited to top-down consultation, but should aim to build a new way of building a vibrant and strong education system.

Reference

Mahdjoub, R. (2024, décembre). Un regard actuel sur le système éducatif algérien. Communication présentée au symposium « L’Algérie 70 ans après : Les défis du renouvellement des connaissances en sciences sociales et humaines », organisé par le CRASC, Oran.

Author

Rosa Mahdjoub is Head of the Department for the Evaluation of the Performance of the Education System at the Observatoire National de l’Éducation et de la Formation (ONEF, Algeria) and an international consultant in education sector analysis, also affiliated with the Laboratoire Interuniversitaire des Sciences de l’Éducation et de la Communication (Lisec, Université de Haute-Alsace).

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